DAVID AMES CURTIS

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Courrier des lecteurs du Monde
écrit par David Ames Curtis
concernant l'article du 14 décembre 2005
d'Alain Beuve-Méry:
"La démocratie, une nécessité non obligatoire"


Cornelius Castoriadis, qui a lui-même publié de nombreux d'articles, d'entretiens et de critiques dans Le Monde, a écrit à plusieurs reprises au sujet de ce journal. En nous assurant qu’il n’est pas un pessimiste (“Nous ne vivons pas encore dans la Rome ou la Constantinople du IVe siècle”), il a affirmé, par exemple : “Dans le courrier au Monde, par exemple, on trouve souvent des lettres exprimant des points de vue tout à fait sains et critiques”. Il a pu pourtant être lui-même très critique envers Le Monde, par exemple lorsque Le Monde a refusé de publier une pétition qu’il a faite circuler (sa solution? publier “Illusions ne pas garder” dans Domaines de l’homme).


Voici la réponse que j’ai reçue un mois après avoir envoyé un courrier au Monde le 14 décembre 2005:

Cher lecteur,

 

Je vous remercie de nous avoir fait part de vos remarques.

 

Nous sommes très attentifs aux points de vue exprimés par nos lecteurs, soyez sûr que votre courriel sera transmis à Alain Beuve-Méry.

 

Je vous prie de croire à mes sentiments les meilleurs.

 

Yves Marc Ajchenbaum

Le Courrier des lecteurs


Et voici le courrier lui-même, Le Monde ayant refusé même de faire un rectificatif de ses erreurs huit semaines plus tard:



COURRIER DES LECTEURS:

Dans un article sur l'OCDE et son prédécesseur, l'OECE ("La démocratie, une nécessité non obligatoire"), Alain Beuve-Méry commet des erreurs chronologique et factuelle concernant l'économiste et penseur politique Cornelius Castoriadis qui laissent une fausse impression du parcours de travail, au sein de cette organisation, d' "un des fondateurs du mouvement Socialisme ou barbarie" : "Pour l'essentiel, sa tâche était d'assurer la surveillance du bassin méditerranéen. Il a quitté l'organisation en 1978, une fois ces pays lancés sur des rails démocratiques."  Dans un entretien accordé au groupe Agora International il y a quinze ans, Castoriadis a bien expliqué, pourtant: "J'ai travaillé à l'OCDE de 48 à 70; j'étais obligé de travailler bien sûr pour vivre, et en même temps c'était très commode de me donner une couverture légale totale, aussi longtemps que ce que je faisais réellement n'était pas connu. . . . en plus, ça m'a donné une connaissance effective du fonctionnement économique des pays capitalistes; pendant 22 ans, mon travail, c'était faire l'analyse de la situation économique à court et à moyen terme de tous les pays dit-développés [c'est nous qui soulignons]  . . . et aussi ça m'a appris à connaître de l'intérieur comment travaille une bureaucratie à ses niveaux les plus élevés, parce qu'à la fois l'OCDE elle-même était une bureaucratie."  Donc, Castoriadis, qui a terminé son emploi à l'OCDE en tant que Directeur des Statistiques, des Comptes nationaux et des Études de croissance, a pris sa retraite huit ans plus tôt, lorsque l'Espagne, le Portugal, ainsi que la Grèce étaient toujours sous des dictateurs.  L'interprétation erronée de Beuve-Méry relève donc aussi d'un post hoc, ergo propter hoc, qui fait penser aux lecteurs que, pendant la journée, ce militant révolutionnaire nocturne guidait doucement les dictateurs du Sud européen vers la "démocratie" et puis a pris sa retraite, une fois cette tâche terminée.  Pourquoi a-t-il démissionné? Encore une fois, écoutons l'entretien avec ce polymathe extraordinaire: "Il y a eu deux périodes dans mon travail à l'OCDE.  Pendant la première, de 48 à 60, je pouvais expédier mon travail en 4 heures; donc, les autres 4 heures, je les passais dans un bureau bien chauffé, avec beaucoup de papier bien blanc, très épais [rires], à écrire les articles de S. ou B., ou tout ce qui me passait par la tête. . . . À partir de 60, ça a changé parce que - n'ayant jamais rien fait pour être promu - j'ai été promu quand même chef de division, puis directeur suppléant, puis directeur.   Et puis là c'était la mort, parce que le peu d'intérêt qu'il y avait dans le travail . . . disparaissait de plus en plus sous des tâches d'administration, de gestion, les discussions techniques sur le choix des ordinateurs IBM, Burroughs, et tout le reste".  Alors, cette démission ne relevait pas d'une mission de "démocratisation" enfin accomplie: "J'ai fait une demande de naturalisation en octobre 70 et le lendemain du jour d'application du décret, j'ai soumis ma démission, alors qu'on était en plein travail."  Mieux vaut, pour comprendre ce que sont, pour Castoriadis, en contraste à une société vraiment démocratique, égalitaire et autonome, des sociétés occidentales actuelles, méditer ce qu'il a expliqué à un public américain il y a déjà vingt ans: "notre société n'est pas qu'une société capitaliste, ni une société démocratique, comme feraient croire les journalistes, les politiciens et les 'philosophes politiques'.  Politiquement parlant, notre société, c'est une oligarchie libérale, avec une minorité dirigeante bien établie, et avec diverses institutions qui incarnent des restes des luttes centenaires pour la liberté, l'émancipation, l'autonomie".

David Ames Curtis
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